Sites de streaming – indexateurs de liens : éditeurs ou hébergeurs ? quelle responsabilité ?

1 février 2016 - DROIT D'AUTEUR

Le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est prononcé en mars 2015 sur la responsabilité d’un site de référencement de liens pointant vers des contenus accessibles en streaming. Il s’agissait en l’espèce de compétitions sportives mais les principes juridiques s’appliquent à tout type de contenus.

TGI Paris, 5ème Ch, 2ème sect. 19 mars 2015, Ligue de Football Professionnel c/ Puerto 80:

La Ligue a assigné la société Puerto 80 du fait de la mise en ligne sur un site accessible à l’adresse www.rojadirecta.me de liens pointant notamment vers des matchs organisés par la LFP (Ligue de Football Professionnel, dont les droits d’exploitation audiovisuelle avaient été concédés antérieurement aux chaînes Canal + et BeIN.

L’action était fondée sur l’article 1382 du Code civil (responsabilité civile de droit commun).

Classiquement, la société Puerto 80 a tenté de faire valoir qu’elle n’était qu’hébergeur car les liens sont supposés être envoyés par des tiers et parce qu’elle n’a pas le contrôle des contenus.

Rappelons que les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Ils ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des informations stockées s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite « ou si, dès le moment où [elles] en ont eu cette connaissance, [elles] ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. »

La LFP pour sa part faisait valoir que l’intermédiaire avait un rôle actif, de par l’utilisation de techniques dites de transclusion (donnant l’impression aux internautes que la vidéo, diffusée sur un site tiers, émane en fait de Rojadirecta), la mise à jour en temps réel d’agendas sportifs, la présence de tutoriels expliquant comment visionner les contenus, etc.

Le TGI rappelle que :

  • les hébergeurs assurent le stockage de signaux, d’images, de sons ou de messages de toute nature, pour mise à disposition du public par des services de communication en ligne, les contenus étant fournis par les destinataires des services (Article 6-I-2 de la LCEN);
  • l’éditeur, par référence à la définition d’éditeur de service de media audiovisuel issues des lois du 30 septembre 1986 et du 5 mars 2009, assure une « maîtrise éditoriale » sur les contenus.

Sur l’activité principale du site :

Les juges parisiens constatent que le site « rojadirecta » propose un agenda sportif horaire actualisé permettant d’être informé en temps réel sur les matchs proposés au visionnage et que les contenus sont classés chronologiquement, et par sport. Ils ajoutent que les événements sont diffusés en intégralité et que le mot-clé « ligue » renvoie aux matchs organisés par la LFP grâce à un moteur de recherche.

Le Tribunal en déduit que le site, même s’il se présente techniquement comme un hébergeur de liens, organise « intentionnellement et à titre principal » un choix éditorial sur des thèmes précis, mis à jour en permanence, « permettant à tout public d’accéder facilement et gratuitement à des contenus protégés réservés à un nombre restreint d’abonnés (…) ».

La responsabilité allégée des hébergeurs n’est donc pas retenue. Le site est considéré comme éditeur.

Sur le forum présent sur le site :

En revanche, la rubrique « forum » du site « rojadirecta » se borne à répertorier des liens et sur ce point, le site litigieux répond bien à la définition d’hébergeur.

Le site relève donc, en fonction des rubriques, de deux qualités différentes.

Cette solution est conforme à l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 (JO 30 juill. 1982), sur la communication audiovisuelle: « Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».

Les sites de streaming trop bien organisés ne pourront désormais plus se réfugier derrière le privilège légal du statut d’hébergeur. Rappelons que ce privilège avait était instauré pour les intermédiaires techniques qui n’avaient pas connaissance des contenus stockés.

Le Tribunal relève pertinemment que la notification prévue à l’article 6-I-5 de la LCEN ne peut que s’avérer inefficace, s’agissant de matchs en direct. Notons tout de même que la LFP avait adressé, sans succès, deux courriers de mise en demeure préalablement à son action.

Condamnations :

La société Puerto 80 est condamnée à supprimer les liens litigieux, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard et à 100.000 euros de dommages et intérêts. La publication judiciaire de la décision sur le site rojadirecta est ordonnée pendant une période de 15 jours.

En revanche, la LFP est déboutée de ses demandes au titre d’un préjudice financier du fait que la LFP n’a pas pu établir avoir subi une perte sur le montant de la cession des droits de diffusion.

La société PUERTO 80 a fait appel du jugement.

mentions legales